Numéros-37-38-39

Pour chaque n° : présentation de la table des matières, de l’éditorial et des résumés (français, anglais, espagnol à partir du n° 2)


n° 37 – n° spécial :

Perspectives internationales
dans le champ
de la formation des adultes


Éditorial – Philippe Carré

Karen Evans, Apprentissage tout au long de la vie : politique sociale et agentivité individuelle
Jean-François Roussel, Placer l’individu au premier plan de la démarche d’apprentissage afin d’accroître l’impact de la formation en milieu organisationnel
Roger (Rog) Hiemstra, Faciliter l’apprentissage autodirigé des adultes
Jesús Arroyave, La stratégie de communication de l’éducation par le divertissement : une autre manière d’apprendre
Arvind Singhal, Transformer l’éducation de l’intérieur. Développer l’apprentissage et la mémorisation par la déviance positive.

 

Éditorial

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Pascal, Pensées, V, 294)

En France, la littérature scientifique et professionnelle sur l’éducation et la formation des adultes souffre d’un déficit chronique de référence à des publications en langues étrangères, au premier rang desquelles, compte tenu de leur impact au plan international, les travaux en anglais. C’est l’une de nos multiples spécificités nationales : nos cousins chercheurs de l’espace francophone belges, suisses ou québécois sont, beaucoup plus que les Français, ouverts aux sources documentaires internationales, donc rédigées en anglais. Qu’on la déplore ou qu’on s’en félicite, la domination de l’anglais comme principale langue de communication scientifique dans la plupart des disciplines reste incontestable. Ce constat rend incontournable le recours aux résultats de recherches, d’expérimentations ou de théorisations formalisées dans cette langue en sciences de la formation. Une note de la Direction de l’information légale et administrative, service rattaché au Premier ministre, publiée en 2013 (1) fait état d’une étude de l’Ined sur l’usage des langues vivantes dans la recherche publique française selon laquelle « l’anglais occupe une position dominante dans tous les domaines de la recherche. Dans les sciences exactes, l’utilisation du français est devenue marginale : 96 % des directeurs de laboratoire assurent que l’anglais est la langue la plus utilisée. Cette proportion est moins forte dans les sciences humaines et sociales : l’anglais y est déclaré dominant par 59 % des directeurs de laboratoire. De la même façon, les publications, les réunions ou les colloques scientifiques se font essentiellement en anglais. ».

Quelles que soient nos analyses de cette hégémonie en termes géoscientifiques ou idéologiques, quelles que soient nos convenances ou résistances personnelles et nos convictions quant à la défense de notre patrimoine linguistique (et donc culturel), on ne peut douter que la réduction de nos références documentaires aux seules publications rédigées dans notre langue, devenue d’un usage minoritaire dans le monde, est un facteur de fragilisation progressive de la recherche et, partant, des contributions qu’elle peut apporter aux mondes de la pratique, en formation d’adultes comme partout ailleurs. Ce repli sur le périmètre partiel (pour le moins), insulaire (au pire) de la recherche conduit à une série d’effets pervers : participation extrêmement réduite des chercheurs français aux grands colloques et congrès de langue officielle anglaise, représentativité timide des revues francophones dans les bases de données internationales et, partant, faiblesse des « facteurs d’impact » qui leur sont attribués, lesquels régissent déjà les carrières des chercheurs de multiples disciplines, avant sans doute d’en affecter la totalité dans les quelques années à venir.
En surplomb de ces limitations évoquant l’image d’un véritable « village gaulois » de la recherche, en comparaison des pratiques bi-, voire plurilingues de nombre de nos voisins européens, au nord et à l’est en particulier, flotte la menace encore plus grave d’un rétrécissement de nos problématiques, cadres théoriques, concepts et méthodologies aux seules perspectives hexagonales, parfois timidement reliées à celles de nos cousins francophones.

En regard d’un tel contexte, et dans l’attente de publier, quand les esprits seront mûrs, des articles en langue étrangère dans ses colonnes, la revue Savoirs choisit de livrer dans ce numéro spécial, en traduction française (2), cinq articles de fond centrés sur des travaux exceptionnels, sous la plume d’auteurs réputés en provenance de trois continents. Par-delà le mérite de ces présences « étrangères » dans notre revue, ces contributions ont celui d’être issues de traditions disciplinaires diverses : sociologie, pédagogie, gestion et communication (3). Ensemble, elles livrent un tableau inhabituel, parfois décalé, toujours éclairant, de la formation des adultes « vue d’ailleurs » aujourd’hui.

Dans son article « Apprentissage tout au long de la vie : politique sociale et agentivité individuelle », Karen Evans, professeur titulaire de la chaire des apprentissages tout au long de la vie à l’Institute of Education de Londres développe, sur la base d’enquêtes empiriques internationales, la question de l’articulation des dimensions socio-structurelles et personnelles du rapport des jeunes et des adultes à la formation.
Depuis l’autre côté de l’Océan, Jean-François Roussel, professeur de gestion de la formation à l’Université de Sherbrooke (Canada) signe un article dont le titre, « Placer l’individu au premier plan de la démarche d’apprentissage afin d’accroître l’impact de la formation en milieu organisationnel » indique clairement le projet, au carrefour des politiques de formation et des enjeux d’apprentissage.
Dans une veine comparable, mais issue de la perspective andragogique de Knowles, Roger Hiemstra, professeur émérite de l’Université de Syracuse (États-Unis) et auteur « historique » de l’éducation permanente, nous livre, à la manière d’une biographie éducative, les clés de son itinéraire de chercheur et de praticien de la formation des adultes et, chemin faisant, l’état de ses réflexions sur comment « Faciliter l’apprentissage autodirigé des adultes ».
L’article suivant, « La stratégie de communication de l’éducation par le divertissement : une autre manière d’apprendre », rédigé par Jesus Arroyave, professeur en sciences de la communication à l’Université de Baranquilla (Colombie), nous transporte non seulement vers le sud du même continent, mais également vers l’univers quasiment inconnu sous nos latitudes de l’Entertainment Education, stratégie d’éducation des adultes et des jeunes par le divertissement volontaire, à la télévision, à la radio ou par d’autres médias, à travers des feuilletons et programmes populaires toujours librement choisis par leurs auditeurs et spectateurs, mais conçus en fonction de buts éducatifs, sociaux ou sanitaires implicites.
Également professeur de communication, à l’Université d’El Paso (États-Unis) cette fois-ci, et chercheur réputé sur le thème de la communication sociale par les médias, Arvind Singhal nous livre, sous le titre « Transformer l’éducation de l’intérieur : développer l’apprentissage et la mémorisation par la déviance positive », une réflexion experte autour de la déviance positive. Ou comment favoriser le changement social et développer les apprentissages à partir de l’exemple de minorités « positives » qui, par la transgression des normes sociales paralysantes, conservatrices ou franchement nocives qui régissent la vie d’une majorité, réussissent à se libérer des chaînes de la fatalité, de la reproduction sociale et de l’apprentissage de la résignation.

De nouveaux horizons non seulement pour notre culture scientifique, mais aussi pour nos pratiques d’intervention.

Happy Reading !

_________________

1 http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/recherche-publique-quelle-est-place-anglais- 20130524.html.

2 Nous remercions Nathalie Fauveau pour le soin qu’elle a apporté aux traductions, qui ont souvent demandé de délicates transpositions linguistiques.

3 Ces articles ont été sélectionnés parmi les contributions à un symposium qui s’est tenu à Royaumont en mai 2013 et que l’on retrouvera dans : Hiemstra, R. & Carré, P. (2013). A Feast of Learning. International Perspectives on Adult Learning and Change. Charlotte, NC: IAP.

___________________________________

n° 38 :

La satisfaction en formation

 
Éditorial – Philippe Carré

Note de synthèse
Nora YENNEK, La satisfaction en formation d’adultes

Articles de recherche

Pierrot AMOUREUX et Philippe MAZEREAU, La reconnaissance des compétences des travailleurs handicapés : une conceptualisation au service de l’action
Frédérique BROS, Devenir e-lettré : quels leviers et voies d’accès à l’écrit à l’heure de la littératie numérique ?
Guillaume TEILLET, Des ouvriers face à la formation continue : inégalités d’accès et pluralité des dispositions sociales
Comptes-rendus de lecture
Martine Morisse et Louise Lafortune (dir.) (2014). L’écriture réflexive. Objet de recherche et de professionnalisation
Edmée Ollagnier (2014). Femmes et défis pour la formation des adultes. Un regard critique non conformiste
Clément Lhommeau (2014). MOOC : l’apprentissage à l’épreuve du numérique.
Catherine Béduwé, Véronique Bedin et Sandrine Croity-Belz (2014). Évaluation Formation Emploi. Un chantier pluridisciplinaire

Éditorial

Une fonction majeure de la revue Savoirs a été, depuis l’origine, d’offrir à chaque livraison, à travers la rubrique « Note de synthèse », une revue de questions sur une problématique, un concept ou une avancée théorique d’importance pour chercheurs et praticiens de la formation des adultes. Nous espérons ainsi consolider l’état des savoirs de nos jeunes « sciences de la formation » en émergence. Le présent numéro propose une illustration à notre sens limpide de ce principe : à travers son article sur « la satisfaction en formation », Nora Yennek s’attaque au serpent de mer de l’évaluation, par l’angle sans doute à la fois le plus usité et le plus contesté. Sa note résume et cristallise les avancées de la connaissance sur la portée et les limites de la no- tion de satisfaction dans ce domaine, abordant des résultats aussi provocants pour nos habitus professionnels que l’absence avérée de corrélation entre satisfaction et performance à l’issue d’une action de formation. Voilà qui devrait interpeller non seulement le chercheur ou l’ingénieur pédagogique, mais aussi (surtout) le responsable de formation d’entreprise, l’offreur de services de formation et même… le ci-devant « formé », désormais rebaptisé et toujours supposé « apprenant ». À partir d’un retour critique et solidement adossé à la littérature scientifique sur le modèle canonique de l’évaluation de Kirkpatrick, l’auteure propose une (re)construction conceptuelle de fond de la notion de satisfaction, ouverte non seulement sur les facteurs affectifs usuellement retenus, mais également sur les dimensions d’utilité, d’intérêt situationnel et d’intention de retour en formation. Le tout sans excommunier l’importance de la logique de mesure de la « satisfaction-client » sur ce qui reste un « marché » où les protagonistes (formateurs, participants, management, entreprise) ont, par-delà ou en deçà de la compétence visée, des intérêts légitimes à faire en sorte que le service offert soit ressenti comme « de qualité ». De multiples autres résultats sont ici rappelés ou dévoilés, depuis la moindre pratique de l’évaluation du transfert jusqu’au rôle central et quasi hégémonique du formateur dans l’obtention de la satisfaction.
Voici donc un dossier non seulement central pour la recherche mais également (surtout ?) pour faire avancer les pratiques d’évaluation de la formation. À l’heure où les modifications législatives et institutionnelles de la formation entraînent un bouleversement des habitudes, et où les thématiques de la qualité, de son évaluation et de son contrôle semblent prendre le devant de la scène, ce texte prendra sans doute valeur de référence du domaine.

Trois articles complètent cette livraison. La variété des thématiques traitées, depuis la reconnaissance des compétences des travailleurs handicapés (Amoureux et Mazereau) jusqu’à la « littératie numérique » (Bros) et au rapport des ouvriers à la formation continue, vu à travers la double focale des inégalités d’accès et d’une approche dispositionnelle (Teillet), traduisent bien la vocation de Savoirs d’accueillir, au fil de l’eau, des publications diverses de recherches « vives », dans une temporalité proche de celle de leur production.

Il convient de conclure cet éditorial en exprimant à Françoise F. Laot l’amicale reconnaissance du Comité d’orientation pour son énergique collaboration au travail éditorial, à l’animation et à la gestion de la revue Savoirs tout au long des dix dernières années. La rubrique Vie de la recherche, l’une de ses contributions majeures jusqu’à son départ en 2015, reprendra vie en 2016, sous une nouvelle forme, à l’occasion du n° 40.
En espérant que ce numéro vous apportera toute… satisfaction.

Philippe Carré

__________________________________________

Articles de recherche

__________________________________________

Pierrot Amoureux, Philippe Mazerau
– Formateur, chef de projet Différent et Compétent,
– Maître de conférences HDR en Sciences de l’éducation, Université de Caen-Basse-Normandie

La reconnaissance des compétences des travailleurs handicapés : une conceptualisation au service de l’action

Résumé : En exposant les principes de la reconnaissance des compétences des travailleurs handicapés, tels qu’élaborés depuis plusieurs années par le réseau Différent et Compétent, les auteurs établissent des liens entre des apports de la recherche et la pratique apprenante du réseau. L’ingénierie de formation à la reconnaissance des compétences, construite par le travail réflexif du réseau, atteste de la valeur heuristique de certaines approches théoriques des notions de compétence professionnelle et d’expérience de formation. Dans la dynamique du transfert de la reconnaissance des acquis de l’expérience vers les publics en formation initiale ou en insertion, le réseau rencontre la question de la formation aux compétences sociales mise en œuvre en formation initiale (socle commun) ou dans le champ du handicap psychique. Comment prendre en compte la dimension des compétences sociales, sans entrer dans une démarche de reconnaissance normative ? Telles sont les questions théoriques et éthiques posées par l’extension de la reconnaissance des acquis professionnels hors de son milieu d’origine, le travail protégé.
Mots clés : reconnaissance des compétences, expérience professionnelle, compétences sociales.

Recognition of disabled workers’ skills: a conceptualization in the service of action

Abstract: By enumerating the principles of recognition of disabled workers’ skills as elaborated several years ago by the Différent et Compétent network, the authors make connections between the research contributions and the network’s learning practice. Instructional design in the area of skills recognition, developed by the network’s reflective work, confirms the heuristic value of some of the theoretical approaches of notions such as professional skill and learning experience. In the dynamic of transferring the recognition of acquired experience to students or persons enrolled in job integration programs, the Différent et Compétent network deals with the question of social sills learning either in initial education and training or in the field of intellectual disability. How are social skills to be taken into consideration while avoiding a normative recognition approach? Such are the ethical and theoretical questions posed by the extension of the recognition of professional experience outside its original context, i.e., sheltered employment.
Keywords : recognition of skills, professional experience, social skills.

El reconocimiento de las competencias de los trabajadores discapacitados: una conceptualización al servicio de la acción

Resumen : A partir del reconocimiento de las competencias de los trabajadores discapacitados, tal como las elaboro la red Différent et Compétent, los autores establecen lazos entre los aportes de la investigación y de la práctica de enseñanza de la red. La ingeniería de capacitación para el reconocimiento de competencias, construida por el trabao reflexivo de la red, atesta el valor heurístico de ciertos abordajes teóricos de nociones como la competencia profesional e la experiencia de enseñanza. Dentro de la dinámica de la transferencia del reconocimiento de las adquisición de la experiencia a públicos en educación inicial o en capacitación profesional, la red aborda la cuestión de la enseñanza de las competencias sociales en el nivel de la educación inicial (núcleo común de educación) o en el campo de la discapacidad psíquica. ¿Cómo tomar en cuenta la dimensión de las competencias sociales sin quedar preso de en un reconocimiento normativo? Semejantes cuestiones teóricas y éticas se deben a la extensión del reconocimiento de la experiencia profesionale más allá de las fronteras de su origen: el trabajo protegido.
Palabras claves : Reconocimiento de competencias, experiencia profesional, competencias sociales.

Frédérique Bros
– Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Lille 1, équipe Trigone du laboratoire CIREL

Devenir e-lettré : quels leviers et voies d’accès à l’écrit à l’heure de la littératie numérique ?

Résumé : Cet article ambitionne de contribuer à la connaissance des modes d’accès à l’écrit dans le contexte actuel, marqué par la généralisation des usages des TIC. L’exploration conceptuelle de la notion de « littératie numérique », qui fait écho aux transformations de l’écrit en cours, vise à comprendre ce qui se joue dans le renouvellement scriptural et les pratiques de communication instrumentées émergentes. Elle s’inscrit plus spécifiquement dans l’étude des processus d’appropriation de l’écrit chez les adultes. Aussi nous proposons-nous de mettre en relation apports théoriques et données issues d’une veille permanente concernant les pratiques mises en œuvre sur le terrain de la formation de base des adultes en vue de mettre au jour les freins et leviers à l’e-lettrisme.
Mots clés : littératie numérique, e-lettrisme, formation de base des adultes, raison graphique, pratiques d’écriture instrumentées, accès à l’écrit et aux savoirs.

Becoming e-litterate – What can be done to provide access to the written word in the digital era?

Abstract : This article aims to contribute to our knowledge of how individuals confronted with the problem of illiteracy gain access to the writ- ten word in a contemporary context characterized by the widespread use of ICT. To explore the concept of « digital literacy », which reflects current transformations of the writing process, is to seek a better understanding of scriptural renewal and emerging practices of instrumented communication. More specifically, this work focuses on the process by which adults develop writing skills. We bring together theoretical perspectives and data gathered from an ongoing monitoring of instructional practices implemented in basic adult vocational training in order to identify mechanisms that support or hinder the development of e-literacy.
Keywords : digital literacy, e-literacy, adult vocational training, graphic reason, instrumented writing practices, access to knowledge and the written word.

E-alfabetizarse ¿Cuáles son los incentivos y caminos de acceso al escrito a la hora del alfabetización numérico?

Resumen : Este artículo ambiciona contribuir al conocimiento de los modos de acceso al escrito en el contexto actual caracterizado por el uso generalizado de las TIC. La exploración conceptual del concepto de “alfabetización numéricoa”, que resuena con la transformación de la escritura en progreso, busca entender lo que está en juego en la renovación de las prácticas de escritura y de comunicación instrumentadas emergentes. Se valora más específicamente en el estudio de Del mecanismo de apropriacion del escrito de los adultos.Proponemos relacionar teoría y los datos emergidos del monitoreo permanente de las prácticas implementadas en el campo de la educación básica de los adultos con el fin de actualizar los frenos y incentivos a la e-alfabetization.
Palabras claves : alfabetización digital, e-letrismo, formación básica para adultos, razón gráfico, prácticas de escritura instrumentadas, acceso a la escritura y el conocimiento.

Guillaume Theillet
Doctorant en sociologie – Université de Poitiers, laboratoire du GRESCO

Des ouvriers face à la formation continue: inégalités d’accès et pluralité des dispositions sociales

Résumé : Cet article s’attache à décrire des mécanismes sociaux éclairant un accès différencié à la formation continue pour des ouvriers. Une classification des actions de formation permet de mettre à distance les dis- cours institutionnels empreints des logiques libérales portant sur la formation dans l’entreprise. La formation est d’abord envisagée de manière autonome, comme espace social ayant ses logiques propres, entraînant des conditions de possibilité d’accès socialement variées. L’analyse des modes de transmission des savoirs met en évidence l’incursion de la « forme scolaire » en entreprise. La formation continue est ensuite considérée comme objet hétéronome, indissociable des évolutions de l’organisation du travail, faisant apparaître d’inégales chances pour les ouvriers de faire face à ces mutations. Les analyses sont développées à partir de données issues d’une enquête de terrain dans une entreprise de l’industrie agroalimentaire.
Mots clés : formation continue, inégalités, ouvriers, forme scolaire, socialisation.

Workers and continuing education: unequal access and plurality of social dispositions

Abstract : The aim of this article is to describe social mechanisms that could explain workers’ unequal access to continuing education. A classification of continuing education opportunities makes it possible to take distance from institutional discourse inspired by liberal economic thinking. First, continuing education is considered autonomously, i.e., with its own rules, leading to social discrepancies in terms of opportunities. The analysis of the means of knowledge transmission highlights the incursion of the “formal schooling model” into the professional world. Continuing education is then considered to be a heteronomous phenomenon, inseparable from developments in the working world, bringing to the fore unequal opportunities for workers when confronted with these trends. Data have been gathered as part of a field survey that took place in an agrofood company.
Keywords : continuing education, inequalities, workers, formal schooling, socialization.

Obreros frente a la Educacion continua : acceso diferenciado y pluralidad de disposiciones sociales

Resumen : Este artículo insiste en describir los mecanismos sociales que explican un acceso diferenciado a la educacion continua para los obreros. Una clasificacion de las acciones educativas permite de poner en distancia los discursos institucionales sobre la educacion laboral, impregnados en lógicas liberales. En primer lugar, la educación está considerada de manera autónoma, cómo un espacio social que tiene sus propias lógicas lo que pro- duce condiciones de posibilidad de acceso socialmente variadas. El análisis de los modos de transmisíon de los saberes sociales pone de realce la incur- síon de la « forma escolar » en la empresa. A continuación, la educación está pensada cómo objeto heterogéneo inseparable de las evoluciones de la organización laboral a las cuales los obreros tienen posibilidades desigualdas de enfrentarse. Los análisis desarollados se fundan en datos resultante de una encuesta de terreno realizada en una empresa de la industria agroalimentaria.
Palabras claves : educación continua, obreros, forma escolar, socialización.

 ___________________________


n° 39 :

Éduquer à l’entrepeneuriat

Éditorial
Jean-Pierre Boutinet

Note de synthèse
Caroline Verzat, Olivier Toutain, Former et accompagner des entrepreneurs potentiels, diktat ou défi ?.

Articles de recherche
Benjamin Saccomanno, Modes d’engagement des stagiaires au prisme des représentations des formateurs
Sophie Pécaud, Marc Nagels, L’autoformation comme activité

Comptes-rendus de lecture
Nathalie Ethuin et Karel Yon (dir.) (2014). La fabrique du sens syndical.
La formation des représentants des salariés en France (1945-2010)
Rachid Bouchareb et Martin Thibault (dir.) (2015). Des restructurations
du travail à l’accompagnement vers l’emploi : individualisation et responsabilisation
France Merhan, Anne Jorro et Jean-Marie de Ketele (dir.) (2015). Mutations éducatives et engagement professionnel
Franck Amadieu et André Tricot (2014). Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités

Éditorial

L’entrepreneuriat et son corollaire, la formation à l’esprit d’entreprendre, relèvent de préoccupations qui ont pris de plus en plus d’importance depuis les années 1980. Ces préoccupations entendaient à l’époque constituer une réponse sociale au chômage croissant. À travers elles, Caroline Verzat et Olivier Toutain nous proposent ici une Note de synthèse qui nous introduit dans un nouveau champ professionnel et disciplinaire, grâce leur large expertise expérientielle et documentaire, comme peut en témoigner la bibliographie qui clôt la Note. Parcourir le texte qui nous est proposé ci-après c’est pour le lecteur, pénétrer dans un espace organisé à travers la rencontre de thématiques qui s’entrecroisent, telles l’accompagnement à la création d’entreprises, le soutien aux porteurs de projets, la formation des adultes à l’entrepreneuriat, l’entraînement à l’esprit d’entreprendre.

Certes, comme le montre très bien ce texte, la culture de l’entrepreneuriat, prend ses racines bien avant les années 1980, dans ce XVIIIe siècle qui voit éclore les premières implantations industrielles : l’entrepreneur alors dénommé entreprendeur est désigné comme celui qui édifie un ouvrage ; il dénote par là une capacité à se procurer les moyens nécessaires pour mener à bien son entreprise en affrontant l’incertitude des gains. À cette époque des Lumières, J.-B. Say, à la fois entrepreneur dans la fabrication du coton et économiste, va souligner que l’entrepreneur d’industrie se veut créateur pour son propre compte d’un produit, mais à ses risques. L’entrepreneur influe par ses compétences et sa personnalité sur la création du profit en générant de la valeur dans la société. Mais il n’agit pas sans moyens : il se saisit des connaissances nouvelles produites dans le champ de l’éducation.

C. Verzat et O. Toutain dans l’historique qu’ils consacrent à l’entrepreneuriat montrent comment le XIXe siècle des années 1850-1880 va constituer une éclipse dans le développement de l’entrepreneuriat : l’entrepreneur devient invisible, mis à l’ombre par le détenteur de capital soucieux de son exploitation, que les économistes A. Smith et K. Marx vont chercher à mettre en scène. Il faudra attendre le premier tiers du XXe siècle pour voir réapparaître, avec J.A. Schumpeter, l’entrepreneur placé au centre du processus d’innovation et de sa logique paradoxale de destruction créatrice, typique alors du comportement entrepreneurial.

C’est à partir des années 1960 que la discipline scientifique de l’entrepreneuriat se construit autour des comportements spécifiques des entre- preneurs et s’autonomise dans les sciences économiques, s’efforçant de mettre en évidence la complexité du phénomène entrepreneurial. Les années 1980 et les crises qu’elles révèlent de l’emploi, de la croissance, de la plus-value ne vont que renforcer l’actualité de l’impératif entrepreneurial. Avec les premières années du XXIe siècle, nous assistons à une intensification des références à l’entrepreneuriat et à son éducation. L’économiste W. Busenitz avec ses collègues, à partir d’une revue de la littérature sur la question dégage d’ailleurs dans ces mêmes années quatre grands paradigmes ou domaines conceptuels structurant cet entrepreneuriat, les modes d’organisation, les opportunités, les environnements, les individus et équipes.

Dans ce contexte on peut mesurer l’amplitude du champ éducatif cou- vert par l’impératif apprendre à entreprendre et les auteurs de la Note nous y aident amplement, qui identifient quatre principes pédagogiques fédérateurs à partir de la littérature produite sur la question : l’apprentissage expérientiel, la responsabilisation, l’apprentissage collaboratif, la réflexivité. Ces quatre principes contribuent à définir l’esprit d’entreprendre qui, face à l’engouement actuel, suppose des prérequis comportementaux pour ancrer l’entrepreneur dans une attitude critique, prérequis de la remise en question permanente, de l’ouverture aux opportunités, du sens de la collaboration, qui sont à la base de tout projet entrepreneurial.

À toutes celles et à tous ceux intéressés par la question de l’entrepreneuriat et de son éducation, nous ne pouvons que recommander la lecture d’un texte appuyé sur une solide expertise et une documentation fournie. Faisant suite à ce texte dans la livraison de ce numéro 39 de Savoirs, deux articles de recherche sont publiés, l’un de Benjamin Saccomanno, l’autre de Sophie Pécaud et Marc Nagels. L’article de B. Saccomano, intitulé Modes d’enseignement des stagiaires aux prises des représentations des formateurs s’intéresse aux formateurs de l’AFPA qui en encadrant des cohortes de stagiaires et pour comprendre leur présence en formation mobilisent des modèles interprétatifs à travers lesquels ils cherchent à identifier la nature des engagements de leurs stagiaires. Des figures archétypales de stagiaires issues des représentations des formateurs sont alors dégagées par le croisement de deux variables dichotomiques, l’appréciation de l’autonomie d’une part, et l’identification d’un projet sous-jacent de l’autre. Ces figures archétypales synthétisent l’appréciation des formateurs. Elles servent à évaluer les engagements de ces stagiaires en formation : elles

vont du stagiaire consommateur au stagiaire engagé, en passant par le stagiaire au chaud et le stagiaire adressé. Dans l’article de S. Pécaud et M. Nagels portant sur L’autoformation comme activité, l’autoformation est approchée sous l’angle des stratégies cognitives et métacognitives développées par les personnes engagées dans un projet d’autoformation : que se passe-t-il quand un adulte entreprend de s’autoformer ? La démarche des auteurs s’inscrit dans un cadre théorique de conceptualisation de l’action au regard des apports de la didactique professionnelle. Elle est déployée chez les usagers de deux médiathèques de Loire Atlantique en mai et juin 2014, combinant des mises en situation, des observations et une dizaine d’entretiens. L’analyse s’attache à décrire et à caractériser les situations d’autoformation observées à partir de stratégies de prise d’informations en vue de la résolution d’un problème pratique.

Nous ne pouvons que souhaiter bonne lecture des différentes contributions qui constituent cette livraison du n° 39 de Savoirs.

Jean-Pierre Boutinet

__________________________________________

Articles de recherche

__________________________________________

Modes d’engagement des stagiaires au prisme des représentations des formateurs
Benjamin Saccomanno – docteur en sociologie

Résumé : Cet article analyse les modes d’engagement en formation qualifiante pour adultes, envisagés du point de vue de formateurs de l’AFPA, dont la position en fait les principaux observateurs au fur et à mesure des cohortes qu’ils suivent. Leurs discours permettent de détailler comment se construit leur jugement au contact des stagiaires, ainsi que les espaces d’action au sein desquels peuvent se singulariser leurs apports aux dynamiques individuelles. Nous restituons quatre figures archétypales que les formateurs utilisent pour qualifier les stagiaires à travers leur engagement. Les repères de ces figures produites sont la traduction des exigences d’autonomie et de la mise en projet de soi. La compréhension de ces figures éclaire donc comment les perceptions des formateurs participent fortement de la relation d’accompagnement qu’ils tentent de construire avec les stagiaires.

Mots clés : formation pour adultes, formateurs, autonomie, apprentissage.

How trainees commit to learning as seen through the eyes of their trainers

Abstract : This article analyzes how adults commit to their own learning in courses that lead to a qualification, and does so from the point of view of their AFPA (Adult Professional Training Association) trainers, believed to be in a privileged position to observe them over time. When interviewed, they speak about how they come to judge the trainees through interactions with them and the possibilities they have to personalize how they relate to the trainees individually. Four archetypal figures are identified that trainers use to describe the trainees on the basis of their commitment. Criteria stem from demands in terms of autonomy and the ability to engage in a project of self-renewal. Understanding these figures clarifies how trainers’ perceptions are an important part of the supportive relationship they seek to build with the trainees.

Keywords : adult education, trainers, autonomy, learning.

L’autoformation comme activité
Sophie Pécaud – CAPhi (EA 2163), Université de Nantes
Marc Nagels – CREAD (EA 3875), Université Rennes 2

Résumé : Cette étude approche l’autoformation selon un angle inédit, celui des stratégies cognitives et métacognitives développées par les per- sonnes engagées dans un projet d’autoformation. Elle est fondée sur une démarche quasi expérimentale conduite dans deux médiathèques de Loire- Atlantique en mai et juin 2014, combinant des mises en situation, des observations et des entretiens. Le cadre théorique dans lequel s’inscrit l’analyse des données récoltées est celui de la conceptualisation dans l’action, et plus particulièrement de la didactique professionnelle. L’analyse s’attache ainsi à décrire et à caractériser les situations d’autoformation observées selon les grands concepts de la didactique professionnelle. Elle aboutit à des résultats nouveaux qui contribuent à une meilleure connaissance opérationnelle de l’autoformation, et indiquent des pistes pour un accompagnement plus efficace des pratiques d’autoformation.

Mots clés : autoformation, médiathèque, internet, conceptualisation dans l’action, didactique professionnelle.

Self-learning as an activity

Abstract : This study approaches self-learning from an original viewpoint, i.e., that of the cognitive and metacognitive strategies developed by the persons engaged in a self-learning project. It is based upon an experimental method, carried out in two multimedia centers in Loire-Atlantique (France) in May and June 2014, which combined simulations, observations, and interviews. The theoreti- cal framework in which the collected data were analyzed is that of conceptua- lization in action, and more precisely of occupational didactics. The analysis endeavored to describe and characterize the self-learning situations observed according to the main concepts of occupational didactics. It provides new results which contribute to a better operational understanding of self-learning and suggest leads for more effective support of self-learning practices.

Keywords : self-learning, multimedia library, internet, conceptualization in action, occupational didactics.