n° 55

Usage de la vidéo en formation


Éditorial

Joris Thievenaz, Le recours à l’image en formation des adultes : voir, se voir, donner à voir.

Note de synthèse

Éric Flavier
La vidéoformation

Articles de recherche Research papers

Paul Olry, Jean-François Métral, Fanny Chrétien
L’usage des vidéos en didactique professionnelle : statuts technique, pragmatique, épistémique et acceptabilité sociale.

Enjeux théoriques

Alain Mouchet et David Turon
Explicitation et vidéo : les ressources de l’articulation des points de vue en première et troisième personne.

Varia

Muriel Deltand 
Rôles des compétences transversales dans le premier face-à-face professionnel : le cas des stagiaires en reconversion professionnelle dans les métiers du conseil et de la formation.

Comptes rendus de lecture

Lemaître D., Vannereau J., Zaouani-Denoux S. (2020).
Problématiser les situations professionnelles. Paris : L’Harmattan, 234 p. (Solveig Fernagu).

Martin, J. (2020).
La naissance de l’orientation professionnelle en France (1900-1940). Aux origines de la profession de conseiller d’orientation. Paris : L’Harmattan, 291 p. (Cédric Frétigné).

Delgoulet C., Boccara V., Santos M. (dir.) (2019).
Les formateurs au travail : conditions d’exercice, activités, interventions. Toulouse : Octarès, 245 p. (Vanessa Rémery).

Marcel, J.-F., Broussal, D. (2020).
Je pars en thèse : conseils épistolaires aux doctorants. Toulouse : Cépaduès éditions, coll. « L’esperluette : éducation & formation », 249 p. (Véronique Tiberghien).

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Éditorial

Le recours à l’image en formation des adultes : voir, se voir, donner à voir

Autrefois réservé aux spécialistes et à quelques initiés, le recours à l’enregistrement audiovisuel de l’activité humaine, consistant à recueillir, traiter et exploiter les sons et les images d’une situation dans son contexte naturel, est aujourd’hui omniprésent, quels que soient les contextes et les visées, selon une diversité de moyens et de procédés techniques. Miniaturisation, baisse des coûts des équipements et couplage avec le numérique offrent des perspectives jusque-là inédites. Capture, stockage, traitements divers conduisent tout un chacun à apprendre à faire avec cette exposition régulière à sa propre image et au regard d’autrui, comme si cela allait de soi (1) .

En tant que milieu professionnel et domaine de recherche, la formation des adultes n’échappe pas à cette dynamique socio-économique. Quels que soient les termes utilisés (vidéoscopie, vidéoformation, observation instrumentée, etc.), il s’agit de créer les conditions permettant la captation et la mise en mémoire de traces ou de séquences d’activités en vue de les analyser, les comparer, les archiver dans des bases de données pour les mettre à disposition à des fins diverses (information, sensibilisation, formation, recherche). L’outil vidéo est ainsi incorporé dans les activités du quotidien de nombre de professionnels exerçant différentes fonctions (cadre, intervenant, formateur, chercheur) qui s’en saisissent, se l’approprient et le mettent à leur main, au regard du contexte et des buts poursuivis.

Avec un recours facilité à l’usage de tels moyens, la tendance à recueillir une multitude de données s’accroît, renvoyant à des phénomènes multiples, fugaces et complexes, en disposant de tout le temps nécessaire pour les étudier et les approfondir à distance de l’action. Le confort de l’enregistrement de ce qui échappe à l’attention (parce que trop rapide, trop complexe, peu repérable dans la situation) ouvre la voie à de nombreuses perspectives scientifiques visant à produire un meilleur degré d’intelligibilité de l’activité humaine étudiée dans ses interrelations avec l’environnement, à la fois social et technique (Linard, 1989 ; Albero, 2010a/b ; Albero et al., 2019).

Avec les évolutions techniques, ce recours à l’enregistrement est même devenu systématique dans certains protocoles de recherche et/ou modalités d’intervention. Il est d’ailleurs intéressant de noter les phénomènes de labélisation dont le recours à la vidéo fait aujourd’hui l’objet dans le milieu de la recherche. Dans une volonté de créer des procédures et de concevoir des méthodes qui répondent à la fois à des attentes sociales et à des critères scientifiques, certaines communautés de recherche en ont fait un modus operandi constitutif du courant ou de l’école qu’elles visent à instituer dans le paysage académique, en valorisant la singularité et la pertinence d’un usage particulier de la vidéo dans un domaine d’étude donné. Les enjeux en termes de reconnaissance sont importants puisqu’il s’agit de montrer la pertinence et la robustesse du procédé, parmi d’autres possibles. À des préoccupations techniques s’ajoutent ainsi les stratégies mises en oeuvre par les acteurs dans une « lutte pour le monopole de la compétence scientifique » (Bourdieu, 1976, p. 89).

Si chaque approche élabore sa propre méthode d’enregistrement et de traitement des données issues de captations filmiques de l’activité humaine, il est toutefois possible de repérer des principes invariants et transversaux qui structurent l’analyse. Dans la recherche en éducation et formation (et plus largement dans les disciplines prenant pour objet d’étude des pratiques humaines en situation), le recours à la vidéo est structuré par trois perspectives, qui peuvent se combiner entre elles à des degrés divers selon les contextes, les types d’acteurs et les finalités : voir, se voir et donner à voir.

En recherche comme en formation, l’enregistrement audiovisuel des activités humaines et de leurs environnements est souvent d’abord utilisé avec l’intention de (re)voir ce qu’il est impossible de percevoir et/ou de garder en mémoire la globalité (phénomènes, épisodes d’activité, agencements des espaces, dynamique des interrelations, etc.). Face à la richesse des situations, leur caractère fugace et dynamique, le foisonnement des actes et la profusion des composantes de chaque processus, le recours à la vidéo permet un arrêt sur image. Un retour ultérieur sur l’observé in vivo permet le repérage, l’étude détaillée, la comparaison, etc. La caméra devient alors « un instrument de découverte, un révélateur, une machine à détecter » (Naville, 1966, p. 164). Chaque moment jugé déterminant (positionnement, déplacement, geste esquissé, discret changement, intonations, etc.) devient accessible et visionnable autant de fois que nécessaire. Il est alors possible de saisir sur le vif des moments de vie et d’en faire ensuite une analyse approfondie à des fins de production de connaissances et/ou de formation.

Filmer l’activité humaine dans ses interrelations avec l’environnement permet aussi d’aménager un espace de travail, à la fois en proximité et à distance, dans lequel il est possible de se voir en train de faire. Le terme d’auto- confrontation (2) (simple ou croisée, de premier ou second degré) s’est imposé pour désigner un procédé consistant à permettre à celui qui agit d’expliciter pas à pas (séquence par séquence) et de façon minutieuse ce qu’il fait quand il agit. Lors du visionnage des séquences enregistrées de l’activité, un dialogue s’engage (entre un ou plusieurs acteurs, entre l’acteur et le chercheur, etc.) afin de mettre au jour ce que l’observation seule ne peut décrire : les buts poursuivis par le sujet, les ressources qu’il mobilise, les difficultés rencontrées, les découvertes réalisées, etc. Des différences de focalisation et de mises en oeuvre pourront apparaître selon les courants, écoles, techniques privilégiées (positionnement épistémologique, méthodologies…).

Le recours à l’enregistrement trouve enfin son intérêt au regard de l’intention de mettre en évidence, de diffuser et de faire circuler dans différents milieux (professionnel, scientifique, social, militant, etc.) des images et séquences enregistrées estimées pertinentes ou décisives au regard de leurs contextes et des enjeux qui leur sont liés. Il s’agit de donner à voir une dimension et un certain point de vue sur ce qui est considéré comme le réel d’une activité, posant immédiatement de ce fait la question du point de vue et du sens selon les sujets, les circonstances et les finalités.

Ces trois perspectives organisent donc et justifient le recours à l’enregistrement audiovisuel dans une visée de recherche et/ou d’intervention, selon diverses modalités combinatoires qui répondent à diverses fonctions. Dans chaque cas, le recours à l’image n’est ni neutre ni anodin (Linard et Prax, 1984 ; Linard, 1989, 2019 ; Guérin, 2019) conduisant à envisager autant les apports que les limites et les risques. Avec la vigilance technique et psychologique, une vigilance éthique s’avère indissociable des enjeux épistémologiques, théoriques et méthodologiques (Linard, 2003 ; Thievenaz, 2019).

Un autre point d’attention concerne les effets d’amalgames du statut de l’enregistrement audiovisuel dans la démarche de recherche et/ou de formation car sa banalisation dans la sphère scientifique et sociale conduit, au moins, à trois types de confusion. La première consiste à confondre l’instrument et la démarche (objet et/ou finalité) : faire usage de la vidéo n’est pas une fin en soi mais seulement un moyen parmi d’autres de produire des connaissances et/ou de faciliter des apprentissages. Une seconde consiste à confondre une situation et ce que l’enregistrement en montre : capter des images et des sons consiste toujours à choisir un angle d’approche et un point de vue : positionnement épistémologique, cadre théorique, problématique, question de recherche, méthode, éthique dans l’enquête scientifique ; théories de référence, ingénieries, didactiques, méthodes pédagogiques, dans l’intervention en formation ; plans, cadrages, coupes et montages lors de l’enregistrement et son traitement technique. Observer et recueillir des matériaux n’est donc jamais un procédé neutre dans la mesure où « tout regard est déjà en puissance une mise en forme » (Laplantine, 2005, p. 91). Une troisième confusion consiste à confondre la méthodologie de la recherche avec ses instruments en accordant une place centrale à l’enregistrement par rapport à d’autres types de recueil et de traitements des données. Formulés ainsi, ces points de vigilance conduisent à réinstaurer une perspective critique face à la systématisation d’un recours à l’enregistrement audiovisuel en recherche et/ ou en formation, alors même que, contrairement à une apparente évidence et à une transparence illusoire, rien ne va de soi en la matière. Dans ces circonstances, le chercheur comme le formateur ont intérêt à mettre en objet (placer devant, à distance) cette pratique pour en étudier les conséquences effectives et non seulement en consolider aveuglément l’usage.

C’est ainsi qu’en partant du constat des enjeux et des questions vives que soulève le recours à l’enregistrement audiovisuel en recherche et en formation d’adultes, la revue Savoirs a souhaité consacrer un numéro thématique à cette mise en problématique. C’est dans cette visée que s’inscrit la note de synthèse rédigée par É. Flavier, dont la contribution est tout d’abord l’occasion de conduire une réflexion sur les évolutions historiques et les développements technologiques qui ont accompagné depuis plus de 50 ans cette pratique, à partir de l’analyse de ses évolutions, depuis la seconde moitié du XXe siècle. Un examen minutieux de la littérature scientifique internationale permet ainsi de mettre en relation les différentes conceptions épistémologiques et les types d’usages qui en découlent justifiant une réflexion sur les précautions éthiques indispensables.considérés familiers alors que, en modifiant le rapport à soi et à autrui, ils nécessitent, dans un domaine tel que l’éducation et la formation, d’être étudiés de manière approfondie, encore et encore.

L’article de recherche de P. Olry, J.-F. Métral et F. Chrétien interroge le statut des traces vidéo de l’activité dans le contexte des recherches en didactique professionnelle (DP). Les auteur.e.s présentent les fondements théoriques et les principes selon lesquels une telle analyse du travail permet de développer une « technologie pour l’ingénierie de formation ». Cet exposé est illustré par trois exemples issus de recherches conduites sur différents terrains (activité du facteur, livraison de béton, fabrication de fromage) qui montrent comment le recours à l’enregistrement audiovisuel de l’activité et des situations de travail assure plusieurs fonctions : visibilisation, élucidation, formation.

Dans la rubrique « Enjeux théoriques », la contribution d’A. Mouchet et D. Turon montre une manière heuristique de s’emparer de cette pratique en articulant des points de vue en première et troisième personne, dans une démarche d’intelligibilité de l’activité. Après une réflexion de nature épistémologique sur les conditions d’une telle articulation, la contribution prend appui sur une recherche conduite dans le domaine du sport pour montrer comment il est possible d’analyser les communications entre entraîneur et joueur, en variant les points de vue. Des propositions méthodologiques originales offrent autant de ressources potentielles pour le chercheur que pour le formateur dans différents domaines.

Comme il est d’usage dans la revue Savoirs, aux différentes contributions qui relèvent du thème du dossier s’ajoutent d’autres articles publiés dans la rubrique « Varia ». La contribution de Muriel Deltand étudie les processus qualifiés de « préservation de soi » chez des stagiaires en reconversion professionnelle. À partir de deux entretiens biographiques, l’article explore deux stratégies mises en place par les apprenants lors de leur immersion sur le terrain de stage. Cette analyse est par ailleurs l’occasion d’étudier une question d’actualité qui traverse de nombreux domaines, celle de la construction des compétences dites transversales en situation d’incertitude.

Ce 55e numéro de la revue Savoirs est ainsi l’occasion de remettre à l’étude la question des apports, limites et risques de la banalisation des enregistrements audiovisuels en recherche et en formation. Ce numéro s’inscrit dans la continuité de précédents numéros 3) qui ont régulièrement visé à mettre en objet, discuter et engager un débat critique sur des pratiques et des usages considérés familiers alors que, en modifiant le rapport à soi et à autrui, ils nécessitent, dans un domaine tel que l’éducation et la formation, d’être étudiés de manière approfondie, encore et encore.

Joris Thievenaz

1) Des travaux des années 1980 ont montré, de manière expérimentale, combien l’image vidéoscopée de soi peut être perturbante pour certaines personnalités, et combien l’enregistrement (plan, cadrage, montage) peut avoir, sans contrôle ni précautions, des incidences
négatives sur les individus filmés, notamment par le visionnage réitéré d’une même séquence (plan ou cadrage qui dessert le sujet ; enregistrement d’une maladresse, d’une erreur ou d’un échec ; etc.), sans compter la perte de maîtrise de sa propre image qui reste
enregistrée (Linard et Prax, 1984).

2) Theureau, 1992 ; Clot, 1999

3) Le n° 5 (2004) intitulé « Technologie et formation » (coordonné par B. Albero qui signe la note de synthèse et organise la rubrique « Débats ») discute la fausse évidence du développement croissant des technologies donné pour un bienfait en soi dans le domaine et questionne le positionnement de la recherche en Sciences de l’éducation et de la formation en la matière.

Références bibliographiques

Albero, B. (2010a). Une approche sociotechnique des environnements de formation. Rationalités, modèles et principes d’action. Éducation et didactique, 4(1), 7-24.
Albero, B. (2010b). Penser le rapport entre formation et objets techniques : repères conceptuels et épistémologies. In G. Leclercq, R. Varga (dir.), Dispositifs de formation et environnements numériques : enjeux pédagogiques et contraintes informatiques (pp. 37-39). Paris : Hermès-Lavoisier.
Albero, B., Simonian, S., Eneau, J. (dir.) (2019). Des humains & des machines. Hommage aux travaux d’une exploratrice. Dijon : Raison et passions.
Bourdieu, P. (1976). Le champ scientifique. Actes de la recherche en sciences sociales, (2-3), 88-104.
Clot, Y. (1999). La fonction psycho du travail. Paris : PUF.
Guérin, J. (2019). Construire une culture professionnelle : la vidéo, un support de confrontation peu anodin. In B. Albero, S. Simonian, J. Eneau (dir.), Des humains & des machines. Hommage aux travaux d’une exploratrice (pp. 304-326). Dijon : Raison et passions.
Laplantine, F. (2005). La description ethnographique. Paris : Armand Colin.
Linard, M. (1989, 1990, 1996, nouv. éd. actualisée et augmentée d’une postface). Des machines et des hommes. Apprendre avec les nouvelles technologies. Paris : L’Harmattan, coll. « Savoir et formation ».
Linard, M. (2003). Autoformation, éthique et technologies : enjeux et paradoxes de l’autonomie. In B. Albero (dir.), Autoformation et enseignement supérieur (pp. 241-263). Paris : Hermès-Lavoisier.
Linard, M., Prax I. (1984). Images de soi ou Narcisse au travail. Paris : Dunod. Naville, P. (1966). Instrumentation audio-visuelle et recherche en sociologie. Revue
française de sociologie, 7(2), 158-168.
Linard, M. (2019). Deux intelligences, une planète. Hélices 2, un modèle intégré de l’activité humaine. In B. Albero, S. Simonian, J. Eneau (dir.), Des humains & des machines. Hommage aux travaux d’une exploratrice (pp. 487-541). Dijon : Raison et passions.
Theureau, J. (1992). Le cours d’action : analyse sémiologique. Essai d’une anthropologie cognitive située. Berne : Peter Lang.
Thievenaz J. (2019). Les questions méthodologiques et éthiques liées à l’utilisation de la vidéo sur le terrain de recherche : le cas d’une enquête dans un service de cancérologie. In B. Albero, S. Simonian, J. Eneau (dir.), Des humains & des machines. Hommage aux travaux d’une exploratrice (pp. 327-336). Dijon : Raison et passions.

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Communications de recherche
résumés

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Paul Olry, Jean-François Métral, Fanny Chrétien

  • Pr Sciences de l’éducation,UR FoAP – Université Bourgogne Franche-Comté
  • Ingénieur chargé de recherches Sciences de l’Éducation & Formation, UR FoAP – Université Bourgogne Franche-Comté
  • Maîtresse de conférences – Sciences de l’Éducation & Formation, UR FoAP – Université Bourgogne Franche-Comté

L’usage des vidéos en didactique professionnelle : statuts technique, pragmatique, épistémique et acceptabilité sociale

Résumé
L’usage de la vidéo en formation est héritière d’une longue tradition centrée sur le sujet apprenant (Linard et Prax, 1983). Cet article s’attache à interroger le statut des traces vidéo de l’activité dans les recherches en didactique professionnelle (DP). Il présente les fondements théoriques et les principes qui structurent leur usage dans l’ingénierie DP pour la formation.
Trois exemples sont pris pour illustrer les statuts (pragmatique, épistémique, technique) et fonctions (visibilisation, élucidation, conception) attribués à ces traces vidéo dans ce cadre. Ils donnent à voir son intérêt mais aussi ses limites au regard de l’acceptabilité sociale de ce qu’il dévoile du travail et du savoir-faire des professionnels pour les organisations. La distorsion ainsi mise en évidence entre acceptabilité et statut apparaît comme une dimension à interroger dans les recherches du domaine qui recourent à la vidéo.
Mots clés : vidéo, formation, didactique professionnelle, activité

The use of videos in professional didactics: technical, pragmatic, epistemic status and social acceptability

The use of video in training is heir to a long tradition centred on the learner subject (Linard & Prax, 1983). This article aims to question the status of video traces of activity in professional didactics (PD) research. It presents the theoretical foundations and the principles that structure their use in PD engineering for training. Three examples are taken to illustrate the status (pragmatic, epistemic, technical) and functions (visibility, elucidation, conception) attributed to these video traces in this framework. They show its interest but also its limits with regard to the social acceptability of what it reveals about the work and know-how of professionals for organizations.
The distortion between acceptability and status thus highlighted appears to be a dimension to be questioned in research projects that use video in this domain.
Keywords: video, training, professional didactics, activity

Alain Mouchet, David Turon

  • Université Paris Est Créteil, LIRTES, F-94009 Créteil, France
  • Université Paris Est Créteil, LIRTES, F-94009 Créteil, France

Explicitation et vidéo : les ressources de l’articulation des points de vue en première et troisième personne

Résumé
Nous montrons l’intérêt de l’articulation des points de vue en première personne et en troisième personne, pour rendre intelligible l’activité dans ses dimensions privées et publiques. Cette combinaison entre entretien d’explicitation et vidéo constitue une ressource en recherche et en formation. Nous soulignons d’abord l’ancrage épistémologique sous-jacent à cette articulation entre des données subjectives ou expérientielles, obtenues par l’explicitation du vécu a posteriori, et des données observables et traces de l’activité, obtenues d’un point de vue extérieur, notamment par la vidéo.
Puis, nous mettons en valeur cette démarche au niveau méthodologique, en soulignant les principes et les modes d’articulation, et nous poursuivons en illustrant par des données empiriques sur les communications entraîneur/joueurs. La discussion permet de mettre en avant les débats relatifs à la validation scientifique et l’usage possible en formation.
Mots clés : points de vue en première et troisième personne, multiméthodes, expérience subjective

Explicitation and video: Combining first and third person points of view as a resource

Abstract
We show the interest of the articulation between first and third-person points of view, as a means of making sense of activity in its private and
public dimensions. This combination of explicitation interview and video is a resource for research and training. We first underline the epistemological underpinning of this articulation between subjective or experiential data, obtained by the explicitation of lived-experience, and at the same time observable data and behaviour, obtained from an external point of view, notably through video. We also analyse this approach at the methodological level, highlighting the principles and modes of articulation, then illustrating those with empirical data taken from communication between coach and players. The discussion highlights debates on scientific validation of this methodology, and possible use of this approach in training.
Keywords: first and third person point of view, multimethod approach, subjective lived-experience

Muriel Deltand

  • CRTD EA4132, Cnam Haute École Bruxelles-Brabant

Rôles des compétences transversales dans le premier face-à-face professionnel : le cas des
stagiaires en reconversion professionnelle dans les métiers du conseil et de la formation

Résumé
L’auteure analyse les démarches de préservation de soi dans le cas de stagiaires en reconversion professionnelle. Se servant de deux entretiens biographiques, elle met en relief deux stratégies mises en place par deux stagiaires lors de leur premier face-à-face professionnel en situation de stage : la mobilisation de compétences transversales combinant raisonnement et résonance (Laurence) et la reproduction des gestes professionnels observés (Souleiman).
Mots clés : reconversion professionnelle, compétences transversales, premier face-à-face, tension et préservation de soi

The role of cross-functional skills in the first professional face-to-face meeting: trainees undergoing professional retraining in counselling and training

Abstract
The author analyses approaches to self-preservation in the case of trainees undergoing professional retraining. Using two biographical interviews, she highlights two strategies used by two trainees during their first professional face-to-face encounter in an internship situation: notably the mobilisation of transversal skills combining reasoning and resonance (Laurence), and the reproduction of observed professional gestures (Souleiman).
Keywords: professional reconversion, transversal competences, first face-to-face encounter, tension and self-preservation

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n° 56

Interactions verbales

 

Éditorial
Philippe Carré

Note de synthèse
Laurent Filliettaz, Ayla Bimonte, Ghizlane Koleï, Alexandra nguyen, Aurélie Roux-mermoud, Sabrina Royer, Dominique Trébert, Constanze Tress, Marianne Zogmal, Interactions verbales et formation des adultes

Articles de recherche Research papers

Stéphanie Garcia, Interagir au travail et en situation de formation : le cas des relations avec les parents dans le champ de l’éducation de l’enfance

Virginie André, Des corpus d’interactions dans la formation linguistique des migrants.

Comptes rendus de lecture

Pion, P., Schlanger, N. (dir.) (2020). Apprendre. Archéologie de la transmission des savoirs. Paris : La Découverte, coll. « Recherches », 292 p. (Philippe Carré).
Tricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Paris : Retz, coll. « Mythes et réalités », 159 p. (Yannick Roussel).
Mutuale, Augustin et Berger, Guy (2020). S’engager dans la recherche en sciences humaines et sociales : le champ de l’éducation. Paris : ESF Sciences humaines, coll. « Pédagogie. Références », 196 p. (Françoise Cros).
Hache, Caroline (2020). L’excellence scolaire dans les ZEP : quelles perceptions
chez les enseignants ? Rennes : Presses universitaires de Rennes, coll. « Paideia »,
157 p. (Vincent Caputo).

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Éditorial

La question des interactions sociales est inscrite de longue date dans plusieurs traditions de recherche en sciences de la formation, à partir de l’influence déterminante des sociologies interactionnistes, des théories psycho- sociologiques des relations humaines au travail et de l’essor de la dynamique des groupes en formation dès les années 1960. En revanche, selon Filliettaz et ses collègues, ainsi qu’on pourra le lire dans les pages ci-après, « sa part proprement verbale ou langagière n’a pas toujours été perçue et encore moins conceptualisée de façon explicite » (p. 13). D’où le présent dossier, construit autour des travaux de l’équipe Interaction & Formation créée en 2005 à l’Université de Genève, qui réunit une note de synthèse et deux articles de recherche empirique sur le thème des interactions verbales en formation des adultes. Il s’agit, entre autres objectifs de compréhension, de répondre à partir d’une entrée sociolinguistique à la question « comment soutenir le développement de compétences interactionnelles », interrogation dont l’enjeu est largement activé aujourd’hui par la résurgence de l’intérêt pour les soft skills dans le monde du travail. Il s’agit aussi d’y inscrire, de façon a priori contre-intuitive, sa déclinaison « dans des champs de pratique dans lesquels la vie verbale au travail est fortement intériorisée » (p. 35)
La note nous offre un tour d’horizon de ce « virage langagier » de la recherche, largement inspiré d’une ethnométhodologie tripolaire (située, séquentielle, multimodale) et des enseignements de la pragmatique linguistique. Ce cadre théorique double éclaire de nombreux contextes de formation, formels ou informels, comme l’enseignement-formation (et la rencontre avec les didactiques et la simulation), le conseil et l’accompagnement (par exemple en VAE), le tutorat, les situations d’apprentissage non organisées. La note développe également la palette des modes d’intervention que peut inspirer l’analyse des interactions verbales, en lien avec les techniques de la clinique de l’activité, la didactique (et d’évidence celle… des langues !), l’ingénierie de conception et la pédagogie générale, avec par exemple pour ce dernier domaine la notion d’« objet apprenable » (défini comme « discours concomitant[s] à la production de l’action », p. 29), l’usage de data sessions ou encore l’intérêt renouvelé pour les ressources multimodales authentiques dans la formation aux langues.
Au-delà du panorama général d’un champ en plein développement, cette contribution offre au lecteur un paysage fait de carrefours : interdisciplinaire d’abord, puisqu’elle se situe aux interfaces des sciences sociales, de la linguistique, de l’analyse du travail et de la pédagogie des adultes ; carrefour de rôles ensuite quand elle propose un décloisonnement des activités canoniques du chercheur, du formateur et du praticien au service d’une recherche opérationnelle ; carrefour scientifique enfin, avec le recours, encore trop rare en France dans le domaine des sciences de la formation, à une quasi-parité entre références françaises et internationales.

La note est accompagnée et illustrée de deux articles de recherche empirique qui mettent bien en valeur la précision méthodologique proposée par l’analyse interactionnelle. Stéphanie Garcia pose dans son article intitulé « Interagir au travail et en situation de formation : le cas des relations avec les parents dans le champ de l’éducation de l’enfance » trois grandes questions : « 1) Quels sont les problèmes pratiques rencontrés par les professionnelles ? 2) Quelles méthodes mettent-elles en place pour y faire face ? 3) Quelles ressources multimodales mobilisent-elles ? »
L’article démontre ainsi non seulement la rigueur emblématique de la méthode, mais également, et le résultat est d’importance, le fait que les professionnelles de la petite enfance « ont la capacité à s’engager dans une démarche d’analyse interactionnelle très fine ». Elle est sur ce point rejointe par Virginie André qui, dans le second article, sur l’usage des « corpus d’interactions dans la formation linguistique des migrants » démontre que les « activités métacognitives sont possibles avec un public faiblement scolarisé et de faible niveau en français ».
Par-delà ses exigences méthodologiques, l’originalité de son positionnement théorique et l’importance de ses implications pédagogiques, l’analyse des interactions verbales contribue ainsi de façon déterminante à la mise en évidence des conditions auxquelles une situation « de formation » devient « apprenante », quand elle sollicite à la fois les enjeux professionnels, les motifs d’action et l’engagement actif et authentique des participant.e.s dans des situations proches de « leurs problèmes dans leurs situations », confirmant ainsi le célèbre théorème posé par Bertrand Schwartz.

Philippe Carré

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Communications de recherche
résumés

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Interagir au travail et en situation de formation : le cas des relations avec les parents dans le champ de l’éducation de l’enfance

Stéphanie Garcia

  • Université de Genève Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation

Résumé
Cet article a pour ambition d’explorer les liens entre des interactions de formation et des interactions de travail dans un champ professionnel à forte composante langagière et interactionnelle, celui de l’accueil de jeunes enfants d’âge préscolaire en contexte institutionnel. Plus précisément, il s’agit d’étudier des interactions de formation où des professionnels expérimentent une démarche d’analyse sur des interactions de travail. L’analyse simultanée de ces deux niveaux permet non seulement d’identifier ce qui est relatif à une compétence d’interaction dans le travail, de rendre visible le processus de développement professionnel à l’œuvre dans le déroulement de la formation, mais également d’observer les opportunités liées à la superposition des situations d’interactions pour la conception de formation. Dans notre contexte, nous proposons de montrer comment le processus d’interaction en formation relève d’une organisation qui lui est propre et se distingue du processus d’interaction de travail.
Mots clés : interaction, compétence, travail, formation

Interacting at work and in training situations: the case of parents- educators encounters in the field of early childhood education

Abstract
This article aims to explore the links between training interactions and work interactions in a professional field with a strong language and interactional component, that of caring for young pre-school children in an institutional context. More specifically, the purpose is to study training interactions where professionals are experimenting an analytical approach on work interactions. The simultaneous analysis of these two levels makes it possible not only to identify what is relative to an interactional competence at work and to make visible the process of professional development in the course of the training, but also to observe the opportunities related to the super- position of interactional situations for the training design. In our context, we will show how the interaction process in training is part of a specific organization and is different from the work interaction process.

Keywords : interaction, competence, work, training

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Des corpus d’interactions dans la formation linguistique des migrants

Virginie André

  • Sciences du langage à l’Université de Lorraine (Nancy) et CNRS

Résumé
L’exploitation des corpus oraux et multimodaux d’interactions à des fins didactiques commence à apparaître et à faire ses preuves dans le champ de la didactique du français langue étrangère (FLE). Elle est encore inexistante dans le champ de la formation linguistique des adultes migrants alors que la participation à des interactions verbales représente une des premières voies de leur intégration. Dans cette étude, nous montrons comment intégrer des corpus d’interactions dans les formations au français langue d’intégration (FLI) en investissant des méthodologies issues de l’analyse de corpus. Nous verrons comment la didactique peut se doter d’outils utiles pour saisir et faire saisir aux apprenants le fonctionnement des interactions. Nous présentons deux processus d’acquisition de compétences interactionnelles – avec des corpus et sur corpus – avec un public migrant débutant en langue et peu scolarisé.
Mots clés : corpus et didactique, migrants, compétences interactionnelles, français langue d’intégration

Corpora of interactions in language training for migrants

Abstract
The use of spoken and multimodal corpora of interactions for teaching purposes is beginning to appear and to prove efficient in the field of French as a foreign language (FFL) teaching. It is still non-existent in the field of language training for adult migrants, even though participation in verbal interactions is at the core of their integration. In this study, we show how to integrate corpora of interactions into French as a language of integration (FLI) training courses by using corpus analysis methodologies. We will see how teaching methods can be provided with useful tools that help learners understand how interactions work. We will present two processes for the acquisition of interactional competences – one with corpora and one using data-driven learning – by migrants with a low educational level who are beginners in French.
Keywords: corpora and applied linguistics, migrants, interactional competences, French as language of integration

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n° 57

Formation et esprit d’entreprendre

Coordonné par Julien de Miribel et Xavier Sido

Éduquer, former à entreprendre : des pistes pour la recherche

Note de synthèse

Patricia Champy-Remoussenard, Éducation et formation à l’esprit d’entreprendre, pour quelles perspectives ?

Articles de recherche

Jean-Michel Mégret, D’une formation à l’entrepreneuriat aux prémices d’une
« andragogie entrepreneuriale » : le cas des Très petites entreprises (TPE) bretonnes
Hélène Vanderstichel, Raquel Becerril-Ortega, John Didier, Parcours de créateur.trice.s dans le champ de l’économie sociale et solidaire.
Maria Pagoni, Projet entrepreneurial et sécurisation des parcours professionnels dans le cadre du Conseil en évolution professionnelle (CEP)

Comptes rendus de lecture

Martin-Krumm C. (2021). Les fondements de la psychologie positive. Paris : Dunod, coll. « Psycho sup », 195 p. (Yannick Roussel)
Gelot D., Teskouk D. (2021). 1971-2021 : retour sur 50 ans de formation professionnelle. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant, 179 p. (Cédric Frétigné)
Filliettaz L., Zogmal M. (dir.) (2020). Mobiliser et développer des compétences interactionnelles en situation de travail éducatif. Toulouse : Octarès, coll. « Formation », 210 p. (Véronique Tiberghien)
Paul M. (2021). Une société d’accompagnement. Guides, mentors, conseillers, coaches : comment en est-on arrivé là ? Dijon : Raison et Passions, 273 p. (Hugues Pentecouteau)

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Introduction au numéro

« Éduquer, former à entreprendre : des pistes pour la recherche »

Julien de Miribel et Xavier Sido

  • Univ. Lille, ULR 4354 – Cirel Centre Interuniversitaire de Recherche en Éducation de Lille F-59000 Lille, France

D’après les données de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la pratique entrepreneuriale (au sens d’une création d’entreprise) a connu un rebond depuis la crise financière de 2008 et
parallèlement une réduction de son taux de faillites (OCDE, 2018). Cette évolution s’est confirmée par la suite, en dépit de la pandémie de Covid-19 et de ses conséquences socio-économiques, la création d’entreprise connaissant alors une augmentation de 4 % par rapport à 2019 (Insee, 2021). Au gré de cette tendance, le développement de l’entrepreneuriat contribue sans conteste à recomposer, du moins à transformer progressivement le champ des activités professionnelles, ce qui n’est pas sans interroger le rôle de l’éducation et de la formation dans cette évolution. Dans l’éditorial d’un précédent
numéro de Savoirs intitulé « Éduquer à l’entrepreneuriat », J.-P. Boutinet (2015) avançait que : « L’entrepreneuriat et son corollaire, la formation à l’esprit d’entreprendre, relèvent de préoccupations qui ont pris de plus en plus d’importance depuis les années 1980 » (p. 7). Une telle évolution semble plus que jamais se confirmer.
Une double orientation pratique
Les pratiques associées à ce domaine peuvent être envisagées selon deux grandes orientations (Champy-Remoussenard et Starck, 2018 ; Pepin, 2011) que nous distinguerons bien qu’elles ne s’excluent pas. La première se traduit par l’incitation prononcée au développement entrepreneurial comme levier de développement socio-économique (lutte contre le chômage, création d’emploi, innovation technique, etc.). Ce point fut clairement identifié dans le plan d’action « Entrepreneuriat 2020 », porté par la Commission européenne, laquelle avait alors diagnostiqué que « pour renouer avec la croissance et retrouver un niveau d’emploi élevé, l’Europe a besoin d’un plus grand nombre d’entrepreneurs » (Commission européenne, 2013, p. 3).
Compris dans ce sens, l’entrepreneurship education consiste à doter les citoyens des connaissances et ressources personnelles pour favoriser la création, le fonctionnement et la gestion des entreprises. La seconde orientation vise à former des individus entreprenants (dans un sens élargi ne se bornant pas à la création d’entreprise) capables de s’insérer, d’agir dans une société postmoderne marquée par des mutations accélérées et par la confrontation à des défis nouveaux. Il appartiendrait dès lors à chaque individu de se saisir de ses ressources propres et des ressources que procure la société pour contribuer à la transformer. L’enjeu serait alors de doter les individus de compétences générales et transversales (autonomie, initiative, sens critique, etc.) qui leur permettraient d’agir dans de multiples situations de la vie, qu’elles se réfèrent au monde du travail ou non (Gibb, 1993, 2002).
Bien que cette double orientation se traduise par un large consensus des acteurs politiques nationaux, infranationaux et supranationaux (Champy-Remoussenard, 2018), elle n’est pas sans ouvrir un champ de questionnement et de débat foisonnant. Certains y voient la tentation d’introduire au cœur de l’École des enjeux spécifiques au libéralisme économique (Tanguy, 2017) quand d’autres y décèlent le creuset pour renforcer l’autonomie des personnes (Chambard, 2014), les préparer à faire face aux grandes questions de notre temps et accompagner la transition vers ce que d’aucuns nomment le monde d’après. À ce titre, le rapport Eurydice (Commission européenne, 2016) envisage la « formation à l’entrepreneuriat » comme une action contributive
en faveur de l’employabilité mais aussi de l’inclusion sociale et du développement d’une citoyenneté active. Il témoigne alors de cette double perspective portant sur l’anticipation des mutations socio-économiques et la préparation des acteurs à ces transformations.
Un domaine de recherche, deux axes dissociés
Si, comme nous le verrons dans ce numéro, le registre de l’entrepreneuriat interpelle immanquablement celui de l’éducation, il en va de même vis-à-vis de l’accompagnement et de la formation à l’entrepreneuriat. Davantage investies par les Sciences de gestion, notamment sur le plan international, les recherches portant sur les relations entre éducation, formation et entrepreneuriat
(au sens large contenu dans le terme entrepreneurship), peuvent être regroupées selon deux grands axes d’investigation, ce que montrent plusieurs revues de littérature (Loi, Castriota et Di Gardo, 2016 ; Pittaway et Cope, 2007 ; Verzat et Toutain, 2015 ; Wang et Chugh, 2014).
Le premier s’intéresse à l’institution scolaire, entendue dans un sens général. Les regards portés sur l’École pointent souvent son manque de capacité à développer des compétences utiles aux sphères professionnelles.
Ainsi, les pratiques en matière d’éducation à l’esprit d’entreprendre viseraient à transmettre aux élèves des connaissances, attitudes et capacités, généralement attribuées à des personnes désignées comme entreprenantes dans le registre de l’entreprise ou dans la société en général, mais qui restent relativement floues et parfois mal définies (de Miribel et Sido, 2019). Le domaine de l’enseignement supérieur n’est pas en reste et voit de plus en plus se développer en son sein des dispositifs adressés aux étudiants visant aussi bien la sensibilisation que l’accompagnement à l’entrepreneuriat (Béduwé et Robert, 2021).
Ce premier axe d’analyse invite à interroger les reconfigurations et transformations à l’oeuvre dans l’espace des relations entre
éducation, formation et travail (Brémaud et Guillaumin, 2010 ; Champy-Remoussenard, 2015), laissant place à un champ d’investigation en Sciences de l’éducation et de la formation encore balbutiant.
Le second axe porte pour sa part sur l’entrepreneurial learning, registre essentiellement centré sur l’analyse des apprentissages issus de l’expérience entrepreneuriale dans des contextes diversifiés et situés (Cope, 2005 ; Jones, Macpherson et Thorpe, 2010). Dans cette perspective, les voies par lesquelles l’activité entrepreneuriale est mobilisée comme potentiel d’apprentissage et la tentative de les articuler aux pratiques éducatives et de formation constituent des entrées analytiques privilégiées (Pittaway et Thorpe, 2012). Cet axe concerne certes la connaissance de cette activité, des variations dans la manière de la conduire, du sujet qui s’y engage et du sens construit à travers elle. Mais elle explore aussi, et surtout, l’acquisition des compétences entrepreneuriales au travers de l’activité et les dynamiques d’apprentissage que favorise l’expérience entrepreneuriale (learning by doing, experiential learning). Si peu de liens sont établis entre ces deux axes de recherche, on notera tout de même que le second est porteur d’un vaste potentiel analytique du point de vue des recherches menées en formation des adultes.
Les différents domaines de questionnement que recoupent ces deux axes ont justifié l’organisation d’un colloque, en novembre 2020, consacré aux liens entre éducation/formation d’un côté et entrepreneuriat de l’autre. La tenue de cet événement international, premier de ce type en France sur le sujet, a montré un intérêt grandissant des Sciences de l’éducation et de la formation pour les thématiques liées à l’entrepreneuriat et la contribution spécifique qu’elles sont en mesure d’apporter à sa compréhension. C’est dans le sillon de ce colloque que s’inscrit la publication du présent numéro de Savoirs.
La variété et la qualité des contributions à l’événement ont montré que, depuis le numéro de 2015, marqué par la note de synthèse de C. Verzat et O. Toutain, un nouveau point d’étape méritait d’être fait. C’est dans cette perspective que s’inscrit la note de synthèse rédigée par P. Champy-Remoussenard, qui a été à l’initiative du colloque. Les contributions sélectionnées pour ce numéro accompagnent cet état de la recherche en proposant un regard analytique sur la question entrepreneuriale dans ses relations avec le domaine des apprentissages, de la formation des adultes et des pratiques professionnelles. La note de synthèse et les articles qui composent ce numéro s’inscrivent ainsi dans l’actualité la plus récente des recherches sur l’éducation et la formation à l’esprit d’entreprendre menées en France.
Un potentiel pour la recherche en formation des adultes
Lors de la tenue du colloque, la question entrepreneuriale dans ses relations avec le champ de la formation et des pratiques professionnelles n’a pas fait l’objet d’un traitement séparé via des ateliers ou tables rondes dédiées.
Elle n’en a pas moins irrigué les entrées thématiques du colloque, réparties en cinq grands axes, ce qui fait écho à la considération de Verzat et Toutain (2015) selon laquelle « dans le domaine entrepreneurial, la formation des adultes est indissociable de l’accompagnement à la création d’entreprise et de la formation initiale » (p. 13). Dans cette organisation, plusieurs ateliers ont été amenés à s’emparer de telles questions . Les échanges qui s’y sont  déroulés montrent l’enjeu de mieux faire connaître cette entrée spécifique dans un domaine marqué par la primauté des recherches menées dans le champ scolaire et l’enseignement supérieur.
Par nature et par distinction des pratiques d’éducation à l’esprit d’entreprendre qui s’efforcent le plus souvent de sensibiliser à la création d’entreprise, la formation et l’accompagnement pour entreprendre trouveront leurs orientations, leurs possibilités de transfert et leurs modalités d’évaluation dans le lien avec la situation réelle de travail. Ce faisant, pris dans une
perspective d’articulation entre travail et formation, quels contenus, quels savoirs, quels apprentissages peuvent être mis en exergue, voire gagnent à être réinvestis par la formation ? Quelles perspectives alors pour l’ingénierie de formation ? Et quels en sont les effets sur les acteurs, leur insertion et leur mobilité professionnelles ? Plusieurs pistes peuvent ainsi être suivies.
On entrevoit en particulier les contributions possibles – et souhaitables – du champ de l’analyse des activités (Albero et Guérin, 2014 ; Barbier et Durand, 2017 ; Champy-Remoussenard, 2005 ; Lussi Borer, Durand et Yvon, 2015) qui, jusqu’à présent, s’est peu emparé de la question entrepreneuriale.
Il reste que des pistes peuvent être ouvertes, qu’il s’agisse d’examiner les dimensions réelles de l’activité entreprenante dans les pratiques professionnelles ou la forme entrepreneuriale de l’activité. De même, on notera l’intérêt d’une contribution de la recherche biographique (de Villers, 2009 ; Delory-Momberger, 2009, 2014 ; Niewiadomski, 2012) dont les démarches
ont vocation à saisir les dimensions signifiantes de l’expérience dans une perspective formative engagée par la mise en mouvement de l’apprenant vers un nouveau rapport aux savoirs. Dans cette perspective, qu’est-ce qui, dans un parcours, contribue à favoriser ou bien freine le potentiel entreprenant ? Quels sont les ressorts favorisant l’apprenance (Carré, 2005) chez
celui ou celle qui entreprend ? Si l’École ne constitue pas le lieu privilégié pour rendre entreprenant, alors par quels chemins s’acquièrent les « acquis buissonniers » (Baujard, 2020) favorisant le développement professionnel caractéristique de l’activité entrepreneuriale et/ou entreprenante ?
Un autre domaine de questionnement concerne le marché de l’accompagnement entrepreneurial et les processus de professionnalisation qui le caractérisent. L’offre de formation et d’accompagnement à la création d’entreprise est considérable (Verzat et Toutain, 2015). Pour autant, l’effet de ces dispositifs sur le tissu entrepreneurial reste encore peu étudié, en particulier
dans des domaines répondant à des besoins actuels cruciaux où l’innovation est attendue, tels que l’économie circulaire ou encore l’économie sociale et solidaire. Or le développement de la formation au sein des très petites entreprises (TPE) constitue une problématique quotidienne pour les acteurs concernés. À ce titre, de récents travaux (Macler, 2021 ; Mégret, 2021) sont
particulièrement novateurs de par leur intention d’étudier les activités des chefs de TPE et des indépendants, ce qui débouche sur une interpellation des stratégies stabilisées en matière de pédagogie et d’accompagnement. Il y a là, ainsi que le propose l’article de J.-M. Mégret (infra), les éléments d’une réflexion pour jeter les bases d’une « andragogie entrepreneuriale ».
Sans exhaustivité aucune, ces questions constituent des voies d’analyse nécessitant d’être davantage explorées ou prolongées. La note de synthèse proposée dans ce numéro par P. Champy-Remoussenard revient notamment sur les contributions qui structurent, à l’échelle internationale, la recherche sur les liens entre éducation, formation et entrepreneuriat. Il s’agit ici plus précisément d’identifier la manière dont la recherche en éducation et en formation aborde ce domaine d’investigation, ce qu’elle permet d’en dire et certains points aveugles subsistants. Ces questionnements invitent, au-delà des travaux sur l’éducation à l’esprit d’entreprendre, à investir la formation tout au long de la vie et ses enjeux en matière d’entrepreneuriat, susceptibles
d’apporter un regard complémentaire aux travaux centrés sur l’École. La note de synthèse est pour cela suivie de trois articles de recherche proposant des explorations tout à fait actuelles de ces questions, en privilégiant l’analyse de la dimension entrepreneuriale comme enjeu de formation et d’analyse des pratiques professionnelles.
La contribution de J.-M. Mégret examine tout d’abord la formation à l’entrepreneuriat en la saisissant d’un point de vue andragogique. Elle propose pour cela un cadre de compréhension de l’accompagnement pour le développement de l’autonomie et de la responsabilité des entrepreneurs. Une analyse des données collectées auprès d’entrepreneurs, par questionnaires puis par entretiens, permet à l’auteur de jeter les bases d’un dispositif d’autoformation comme voie de mobilisation de la recherche pour l’action. Ensuite, l’article de H. Vanderstischel, R. Becerril Ortega et J. Didier propose pour sa part un regard sur la dimension entrepreneuriale en privilégiant les activités créatives comme prisme d’analyse appliqué au domaine de l’économie sociale et solidaire. À partir d’une analyse de récits d’expérience de personnes impliquées dans la création d’entreprises ou le portage de projet, la recherche présentée met alors en lumière différentes caractéristiques de la conception (origine, ancrage culturel, dimensions sociale et collective) qui sous-tendent l’activité créative. Enfin, la contribution de M. Pagoni s’intéresse à la construction du projet entrepreneurial menée dans le cadre du conseil en évolution professionnelle. À partir d’une analyse du discours de conseillers et du cas de trois situations d’accompagnement, l’article questionne le statut de la prise de risque inhérente au projet alors même que le dispositif analysé s’inscrit dans un enjeu de « sécurisation » des 13 parcours professionnels. Il ressort une tension entre le principe d’autonomie porté par le dispositif et la nécessité de modérer des projets entrepreneuriaux insuffisamment réalistes. L’article met alors en évidence des stratégies adoptées par les conseillers pour prendre en charge cette tension.
On le voit, ce numéro de
Savoirs « entreprend » d’élargir le spectre des recherches menées en formation des adultes en proposant une lecture singulière de certains enjeux significatifs pour l’orientation et le développement professionnel des personnes. Il propose pour cela d’explorer un registre spécifique de l’activité humaine et des rapports sociaux dont les enjeux, ne l’oublions pas, sont à la fois très actuels et foncièrement vifs. À n’en pas douter, les liens entre éducation, formation et forme entrepreneuriale (ou entreprenante) continueront d’être l’objet d’intérêts prononcés, d’investissements renouvelés, mais aussi de questionnements et de débats nourris.

Les notes de bas de page et la bibliographie de ce texte sont à trouver dans l’édition complète du numéro.

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Communications de recherche
résumés

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Jean-Michel Mégret

  • Université Rennes 2 – Cread (EA 3875)

D’une formation à l’entrepreneuriat aux prémices d’une « andragogie entrepreneuriale » :
le cas des Très petites entreprises (TPE) bretonnes

Résumé

Cet article interroge les pratiques de formation et d’accompagnement des entrepreneurs et vise à identifier quels pourraient être les apports de l’andragogie, comme perspective spécifique de recherche dans le champ de la formation à l’entrepreneuriat.
D’un point de vue empirique, notre approche de praticien (entrepreneur)/chercheur s’appuie sur une démarche méthodologique mixte, menée auprès de plus de cent entrepreneurs bretons. Les résultats aboutissent à la proposition d’un dispositif expérimental de formation construit autour des principes d’une « andragogie entrepreneuriale », dans le but d’« éveiller les entrepreneurs » en les guidant « à entreprendre » (responsables de leur vie), plutôt que de les former à « être entrepreneur » (responsables d’une entité juridique).
Mots clés : Formation d’adultes, entrepreneuriat, andragogie, dispositif de formation.

From entrepreneurship training to the premises of an “entrepreneurial andragogy”: The case of Very small breton enterprises (VSE)

Abstract

This article questions the practices of training and support for entrepreneurs and aims to identify what could be the contributions of andragogy, as a specific research perspective in the field of entrepreneurship education. From an empirical point of view, our approach as a practitioner/researcher is based on a mixed methodological approach, conducted with over one hundred Breton entrepreneurs. The results lead to the proposal of an experimental training system built around the principles of an “entrepreneurial andragogy”, with the aim of “awakening entrepreneurs” by guiding them « to undertake » (as responsible for their lives), rather than training them “to be an entrepreneur” (responsible for a legal entity).
Keywords: Adult education, entrepreneurship, andragogy, training system.

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Hélène Vanderstichel

  • Ingénieure de recherche en Sciences de l’Éducation et de la Formation, ULR 4354 – Cirel (Centre interuniversitaire de recherche en éducation de Lille), Université de Lille, France

Raquel Becerril-Ortega

  • Maîtresse de conférences en Sciences de l’Éducation et de la Formation, ULR 4354 – Cirel (Centre interuniversitaire de recherche en éducation de Lille), Université de Lille, France

John Didier

  • Professeur HEP ordinaire en didactique des activités créatrices et techniques, coresponsable du laboratoire international Creat (Création et recherche dans l’enseignement des arts et de la technologie), HEP Vaud, Suisse

Parcours de créateur.trice.s dans le champ de l’économie sociale et solidaire

Résumé
Cette recherche à caractère exploratoire vise à mieux comprendre l’activité de conception créative dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Elle s’appuie sur une approche socioculturelle de l’imagination et de la créativité qui met en lumière les interactions des créateur.trice.s avec un environnement social et matériel influençant le processus de création. Au cours d’entretiens semi-dirigés, nous les invitons à faire le récit de leur parcours et expliciter les expériences et connaissances qui ont contribué à leurs expérimentations successives. Les résultats ouvrent des perspectives pour la recherche sur le développement de la créativité et l’éducation à l’esprit d’entreprendre.
Mots clés : conception, créativité, entrepreneuriat social, innovation, expérimentation, formation

Path of creators in the field of social and solidarity economy

Abstract
This exploratory research aims to increase the understanding of creative design activity in the field of social entrepreneurship. It draws on a socio- cultural approach to imagination and creativity that highlights the interactions of creators with a social and material environment that influences the creative process. Through semi-structured interviews, we invite creators and leaders of social innovation projects to tell the story of their itinerary 80 Articles de recherche – Parcours de créateur.trice.s and to explain the experiences and knowledge that have contributed to their successive experiments. The results open perspectives for research on the development of creativity and entrepreneurship education.
Keywords: design, creativity, social entrepreneurship, innovation, experimentation, training

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Maria Pagoni

  • Univ. Lille, ULR 4354 – Cirel (Centre interuniversitaire de recherche en éducation) de Lille, France

Projet entrepreneurial et sécurisation des parcours professionnels dans le cadre du Conseil en évolution professionnelle (CEP)

Résumé
L’article interroge la façon dont le projet entrepreneurial est accompagné par des conseillers chargés de l’orientation professionnelle à l’âge adulte. Il s’appuie sur des entretiens réalisés avec des conseillers du Conseil en évolution
professionnelle (CEP), un service d’accompagnement qui a été mis en place en France par la loi du 5 mars 2014. Ces entretiens ont eu lieu dans le cadre d’une recherche menée par le laboratoire Cirel de 2017 à 2019 et financée par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Les postures professionnelles identifiées dans le discours des conseillers et l’analyse de trois situations d’accompagnement de projets entrepreneuriaux montrent que le travail des conseillers se trouve en tension entre respect de l’autonomie de la personne et sécurisation de son parcours professionnel dans un souci de réduction des prises de risque au sein du marché de l’emploi.
Mots clés : projet entrepreneurial, parcours professionnel, risque, conseil

Entrepreneurial project and securing professional careers within
the « Framework of Professional development counseling »

Abstract
This article questions the way in which entrepreneurial projects are supported by counselors responsible for career guidance in adulthood. It is based on interviews with counselors in charge of Professional Development Counseling (CEP), a service that was set up in France by the law of March 5, 2014. These interviews took place as part of a research carried out from
2017 to 2019 by the Cirel laboratory and financed by the Joint Fund for the Securing of Professional Careers (FPSPP). The professional postures identified in the discourse of the counselors and the analysis of three situations of entrepreneurial project support reveal that the counselors’ work is in tension between respecting the persons’ autonomy and securing their professional careers with a view to reducing risk-taking on the job market.
Keywords: entrepreneurial project, professional career, risk, consulting

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